La marche comme pratique esthétique

Dans mon approche du monde sonore, il m'arrive de séparer l'émetteur du son qu'il produit, mais jamais le son et l'espace dans lequel il est produit.

C'est pour cela que la recherche d'environnements est comme l'acte fondateur de ma pratique. La marche me permet d'activer l'état d'écoute dans une spatio-temporalité. Une fenêtre d'écoute qui se déplace dans le paysage.

Dans «Walkscapes» Francesco Careri parle de l’action de marcher pour dépasser les frontières sociales et spatiales. Marcher est un acte fondateur de l'humain. A la recherche des origines de l'architecture dans le nomadisme, Francesco Careri recherche l'esthétisme dans le paysage qui défile durant ses explorations. Cette recherche esthétique est primordiale dans ma recherche de formes plastiques. L'action d'écouter me confronte au phénomène, qu'il soit sonore ou visuel, les met en relation pour créer des systèmes. Ce système est en quelque sorte la topologie perceptible (émotionnelle ?) du lieu.

Ce quadrillage sonore de l'espace se retrouve dans la figure de l'audio-naturaliste. L'audio naturaliste appréhende et étudie les sons de la nature. Il se rend dans des lieux précis pour enregistrer le son des espèces animales à des fins scientifiques. Ces enregistrements sont le témoignage d'une réalité sonore de l'espace naturel. Considérant le paysage enregistré comme une perception, mon écoute, que je considère subjective témoigne plutôt comme un témoignage de l'expérience que j'ai mené. Dans son article "Paysages sonores Partagés" Yannick Dauby parle du fait que le perceptif relève du champ du subjectif. En effet, la perception de l'espace par un individu est relative à des facteurs qui lui sont propres. Sa faculté auditive, son bagage culturel et sa réceptivité émotionnelle vont impacter sa perception. Il existe donc une multiplicité de paysages sonores. Le son entendu est donc unique, un fragment sensible du paysage.

C'est une idée que l'on retrouve dans les œuvres de Max Neuhaus. Son installation Times Square, installée entre 1977 et 1992 au cœur de Manhattan diffuse un son d'une bouche d'égout en continu. L'auditeur involontaire, dans son quotidien urbain, généralement pas dans le souci d'une écoute attentive dans le bruit chaotique de la ville n'aura pas la même appréciation de l'œuvre qu'une personne s'y rendant spécialement pour l'apprécier.